BARBENTANE en décembre 1915 |
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Dans la guerre maritime, les conditions de navigation automnales rendent la sortie des sous-marins allemands impossible dans les mers du nord de l'Europe et l'Atlantique. En effet, ces derniers sont obligés de naviguer le plus souvent en surface pour recharger leurs batteries. Or, ces submersibles sont très sensibles aux grosses vagues qui les ballotent comme des fétus de paille, pouvant même les faire se retourner. De plus, pour attaquer il faut voir les cargos, ce qui est impossible dans une mer houleuse. Même en Méditerranée les patrouilles se raréfient. Le 3, dans la mer de Marmara, le sous-marin britannique E 11 torpille et coule le contre-torpilleur turc Yar Hissar(3). Son équipage, 2 officiers et 40 hommes, sont fait prisonniers. Le 28, le sous-marin français Monge est coulé par le destroyer austro-hongrois Balaton à Cattaro. Son commandant, Roland Morillot, qui a eu une conduite héroïque disparaît avec son sous-marin. Le duc de Savoie, commandant la flotte italienne, lui décerne la médaille d’Or de la Valeur Militaire. Les quartiers-maîtres Goulard et Morel périssent noyés. Les rescapés sont sauvés par les canots du Czepel et du Balaton. Le 30, à la veille du réveillon, le maintenant célèbre U-38 avec son commandant Max Valentiner fidèle à sa tactique de criminel de guerre, coule à 13h30, et sans avertissement, le paquebot britannique Persia au large de la Crête. Ce dernier disparaît en moins de 10 minutes. Il fait route de Londres vers l'Inde, et emporte une véritable fortune en lingots d'or, un stock de pierres précieuses (au moins 80 rubis) d'une valeur inestimable et plusieurs Rolls Royce(4). Le tout appartient au maharajah Jagatjit Singh de Kapurthala, un célèbre globe-trotteur qui défraie les chroniques people de l'époque en convolant pour la 4ème fois. Il n'est pas à bord, mais sur les 519 passagers, 343 périssent, dont l'actrice Eleanor Velasco Thornton(5) âgée de 35 ans, qui a servi de modèle pour la célèbre sculpture du "Spirit of Ecstasy" (Esprit d'Extase), une vénus ailée, qui justement orne le radiateur de ces voitures d'hyper grand luxe. Le 31, le croiseur-cuirassé britannique Natal amarré dans un port est détruit par une explosion interne qui fait près de 400 morts...
Sur le front russe, là plus qu'ailleurs en Europe, le front est figé, et ce n'est pas une image, car dans la région de Dvinsk le thermomètre descend parfois sous les -50°. Toutefois, quand c'est possible, la canonnade s'installe, mais le plus souvent de la mer Baltique jusqu'au Dniester, rien ne se passe... Dans la zone des marais du Pipret, les Allemands retirent du front plusieurs milliers d'hommes pour les acheminer en France. Les Russes font de même pour les transporter et les réarmer en Bessarabie, région qui est située entre l'Ukraine et la Roumanie. Ils suspectent les forces des Empires-Centraux, après leur victoire sur les Serbes, de vouloir traverser la Roumanie pour percer, là où cela est encore faisable, même en hiver... C'est d'ailleurs entre le Dniester et la frontière roumaine que le front est le plus animé. Comme depuis l'été 1915, les cavaleries des belligérants s'affrontent dans des raids sauvages et meurtriers...
Sur le front italien, la quatrième bataille de l'Isonzo s'achève le 9 décembre, elle n'aboutit à rien, à part des morts supplémentaires. Plus au nord, au Monte-Nero, profitant du brouillard, les austro-hongrois lancent des attaques sans résultats probants, d'ailleurs ils sont délogés de leurs maigres conquêtes quelques jours après... Le 17, les Italiens débarquent 30 000 hommes à Durazzo en Albanie. Prévue au départ pour ravitailler l'armée serbe, cette opération est réorientée pour récupérer et couvrir l'embarquement des éléments serbes en retraite afin de les transporter à Corfou... Sur le plateau de Tolmino, comme la roche ne permet pas le creusement de tranchées, les Alpins italiens sont séparés des Austro-Hongrois par des murs formés de cadavres gelés. Auparavant, les Italiens ont ouvert à la mine un chemin de 30 kilomètres pour pouvoir ravitailler ce front épouvantable...
Dans les Balkans, pour les Serbes c'est la retraite générale et, là aussi, dans les montagnes enneigées, le froid est le plus redoutable des adversaires !!! Le 1er, ordre est donné aux éléments les plus avancés de l'armée d'Orient en territoire serbe de se replier derrière la rivière Vardar qui coule d'est en ouest. Le lendemain, les Serbes se retirent de Monastir où Austro-Hongrois et Bulgares s'en disputent la possession. Malgré la victoire, le 5 se déroule à Sofia une manifestation contre la guerre. Elle est durement réprimée. Les 150 000 Serbes encore en état de combattre se replient, dans des conditions très difficiles avec le mauvais temps, une nourriture insuffisante et une épidémie de typhus, vers les ports de la mer Adriatique en traversant l'Albanie et le Monténégro. Pour ce dernier pays, avec ses faibles moyens humains et matériels, résister aux envahisseurs n'a pas de sens, c'est pourquoi son souverain fait une offre de paix séparée à l'empereur des Austro-Hongrois. Le 7, le maréchal August von Mackensen s'adresse au peuple serbe pour l'engager à rentrer dans ses foyers. Le 12, la totalité de la Macédoine est conquise, et les Bulgares s'arrêtent sur la frontière grecque. Comme le Monténégro, même si ses moyens humains et matériels sont plus conséquents, le sort de l'Albanie paraît lui aussi scellé, les Bulgares n'étant qu'à quelques kilomètres de Scutari, ce qui coupe le pays en deux. Du coup, une armée italienne débarque à Vallona (maintenant Vlorë) pour, avec les éléments albanais et serbes trouvés sur place, établir une ligne de front plus conséquente. La grande crainte des Italiens est de voir tous les ports des côtes Adriatiques tomber aux mains des Empires-Centraux. Le 13, l'armée d'Orient s'est repliée en totalité en territoire Grec et Sarrail fait construire, dans un grand cercle au nord de Salonique, une forteresse assez importante pour y loger des terrains d'aviation et garder la maîtrise des communications ferroviaires. D'ailleurs, l'aviation combat très efficacement les concentrations bulgares, ce qui les empêche d'avancer en territoire grec. Le 20, l'armée serbe se reconstitue en Albanie, elle est ravitaillée par les Alliés avec la coopération d'Essad Pacha, le dictateur du pays. Sarrail pousse activement les fortifications autour de Salonique et tous les jours on débarque du matériel supplémentaire. Le 26, le maréchal Mackensen est nommé commandant en chef de toutes les forces des Empires-Centraux dans les Balkans. Le contingent britannique se renforce avec les troupes retirées des Dardanelles. Une rencontre d'avant-postes se déroule entre des Grecs et des Bulgares sur la frontière albanaise, dans cette attaque il y a des blessés et des tués. Le commandant bulgare exprime ses regrets au commandant de la troupe grecque. Le 29, le souverain serbe, Pierre 1er et son fils Alexandre, sont rapatriés sur l’île de Corfou. Le 30, c'est l'apparition de la cavalerie allemande au nord de la frontière grecque. A la fin du mois, après 15 jours de travaux intenses menés de jour comme de nuit par 15 000 ouvriers grecs sous la conduite d'officiers du génie français, fait de Salonique une place d'arme qui sera très difficile à conquérir. La guerre de tranchées fait son apparition dans les Balkans. Comme en France, les lignes de tranchées sont doublées de fil barbelé, les pièces d'artillerie sont stratégiquement positionnées et les munitions sont stockées en très grande quantité...
Dans les Dardanelles, depuis que la décision d'évacuation a été prise, les soldats s'y préparent activement. Mais, là aussi, les conditions climatiques rendent les opérations compliquées. Des orages violents provoquent des glissements de terrain en emportant tranchées et soldats. Une tempête de neige provoque des gelures. Malgré ces conditions climatiques, on peut maintenant affirmer que l'opération d'évacuation est la chose la mieux exécutée de toute la campagne des Dardanelles. Les baies de Gapa-tépé et de Suvla sont les premières à être évacuées et les dernières troupes britanniques quittent le territoire turc à l'aube du 20 décembre. Le bon échelonnement dans le temps avec des ruses de circonstance(6) rendent ce retrait presque inaperçu. Mais les Turcs ne sont pas si dupes, toutefois ce n'est pas facile pour eux de se faire une idée réelle de la situation. Dans la baie des Anzac, les Britanniques s'astreignent à un silence complet pendant des heures, puis quand les soldats ottomans, intrigués, sortent la tête pour inspecter les tranchées, ils sont systématiquement fauchés. Avec ces tactiques, l'évacuation se déroule avec très peu de victimes mais tout le matériel et le ravitaillement doivent rester sur place car, dans ces conditions, il est impossible de l'évacuer sans que les ruses soient éventées...
En Afrique, plus précisément au Cameroun, au début du mois les troupes franco-britanniques arrivent à Yoko par le nord (Tchad) et font leur jonction avec les franco-belges qui arrivent du sud-ouest (AEF et Congo). Yaoundé, la capitale du pays, est maintenant directement menacée. Le gouverneur allemand Ebermaïer, avec le lieutenant-colonel Zimmerman qui défend la place, décident de se réfugier en Guinée espagnole. C'est une colonie officiellement neutre, mais plutôt favorable aux Allemands. En suivant la piste d’Ebolowa, la colonne de soldats franchit facilement le fleuve Rio Muni qui sert de frontière... Presque à la même latitude, débute en Afrique de l'Est les combats connus sous le nom de "bataille pour le Tanganyika". Le lac, qui porte toujours ce nom, est le deuxième d'Afrique par la surface, c'est aussi le plus long du monde avec 677 km, il est aussi un des plus profonds. Il est bordé à l'est par l'Afrique orientale allemande (maintenant la Tanzanie) dont Dar-el-Salam est la capitale et, à l'ouest, par le Congo belge, maintenant République démocratique du Congo. Le 26 décembre, le remorqueur allemand Kingani est pris en chasse par les croiseurs britanniques Mimi et Toutou, ainsi que les vedettes belges Netta et Mosselbak. Plus rapides, les poursuivants rattrapent rapidement leur proie et, après quelques échanges au canon qui tuent son commandant et des hommes d'équipage, le remorqueur se rend. Il est remorqué jusqu'à Albertville où il est réparé et remis en service sous le drapeau britannique avec le nom de Fifi...
Au Moyen Orient, après la défaite de Ctésiphon, les forces britanniques de la 6ème division Poona, se replient de 150 kilomètres, à Kut-Al-Amara. Épuisés, ne pouvant reculer plus, les soldats rescapés s'enferment alors dans la cité le 3 décembre. Toutefois, pour éviter une défaite encore plus complète, Townshend renvoie sa cavalerie vers Bassora et demande à Nixon de lui envoyer promptement des renforts. Les forces ottomanes les rejoignent le 7 décembre. Puis, après avoir dispersé une maigre troupe de soutien, elles s'installent pour assurer, de façon tout à fait moyenâgeuse, le siège de la ville...
En Perse, pour essayer de délivrer les troupes indo-britanniques assiégées dans Kut-Al-Amar, les Russes occupent Khoum (maintenant Qom en Iran), Hamadan et Noveran. Ces deux dernières villes sont assez proches, moins de 200 kilomètres de Kut, mais l'avancée russe n'est plus qu'une pointe émoussée, elle n'ira jamais plus loin...
Il est temps de revenir à Barbentane et c'est l'Écho de février 1916 qui relate les nouvelles de décembre et début janvier. Deux photos, bien tristes font la page de couverture. On y voit Louis Sérignan avant et après son amputation de la jambe droite dans un hôpital allemand. Signe de l'apaisement des conflits sur tous les fronts, aucun Barbentanais n'est tué au combat en décembre 1915... Un nouveau Comité de l'Or est créé. Son bureau est composé de presque toutes les personnalités du village. Il s'ensuit le détail des sommes déjà versées par les villageois aux multiples collectes. En ces temps de restrictions, elles sont loin d'être négligeables. Un nouvel appel est fait à toutes et tous pour que chacun apporte son or pour défendre la patrie... L'article suivant relate les sommes données aux différents emprunts. C'est à lire... La quête pour la journée du "Poilu" du 11 décembre a rapporté 423 francs et 15 centimes... A l'arbre de Noël, organisé par Maurice de Waresquiel à Paris le 27 décembre, le curé du village s'est fait "représenter" par une "poupée barbentanaise"... Après, c'est un article acide pourrait-on dire, puisqu'il est intitulé "Bonne et Mauvaise fermentation"... 14 soldats de la classe 1917 reçoivent leur affectation et 7 autres, des auxiliaires(7), partent dans leurs régiments respectifs... 4 soldats sont notés blessés ou malades. Au livre d'or, Raymond Fontaine né à Réchaussier, coiffeur à Paris dans le civil, grièvement blessé, amputé deux fois à la même jambe, est cité à l'ordre de l'Armée. L'adjudant Édouard Pialot est nommé sous-lieutenant, Martial Granier lieutenant, Pierre-Xavier Linsolas caporal-fourrier et le novais Marius Escalier est cité à l'ordre de sa brigade pour fait de bravoure... Trois discours funèbres sont donnés, ceux de Joseph Fontaine, Émile Vayen et les frères Jean-Marie et Pierre Bertaud... Un petit article sur Noël où l'on apprend qu'à Barbentane c'est Jacques Barthélémy qui a chanté Minuit chrétien. Pour le jour de l'an, un vœu est émis "Que 1916, qui s'ouvre sous de si sombres présages, se termine, comme nous l'espérons, couronnée par la victoire et illuminée par la paix !" Est noté ensuite un comparatif du "Mouvement de la population Catholique" où l'on note, entre autres, qu'aucun mariage n'a eu lieu durant l'année 1915... Est retranscrit la lettre du lieutenant Pierre Laurent du 5 janvier 1916... Dans le courrier militaire, de nombreux blessés donnent de leurs nouvelles, ce n'est pas toujours gai. Comme toujours, il y a une lettre de Léopold Michel faite dans le bled marocain ; Claude Bernard relate une température de -17° dans les Balkans et il signale qu'il est resté pendant 4 jours dans la neige jusqu'aux genoux ; Georges Debès suit une formation dans un peloton de chefs de section ; c'est Marius Escalier qui a eu une belle frayeur mais il a réussi à tuer un de ses agresseurs à 4 mètres de lui ; c'est Jean Vernet qui a chanté Minuit chrétien dans la tranchée ; c'est A. Gibault qui a réussi à trouver une toute petite chapelle avec des sœurs et après avoir chanté lui aussi Minuit chrétien s'est fait offrir un réveillon ; c'est Jean Marceau qui, en quelques mots, narre la vie pas marrante qu'il mène au front et, enfin, c'est le sergent Paul Mouret qui écrit, mais ne on sait pas d'où "les lignes de l'Écho m'apparaissent comme des rayons égarés de notre beau soleil de Provence, dans ce pays de pluies et de brouillards..." Dans les statistiques mensuelles sont notés un baptême et deux enterrements... Guy |
Officiers français à Yoko au Cameroun en décembre 1915 |
Décembre 1915 - Dans le Monde en Guerre Sur le front politique, à la fin de cette deuxième année de guerre, en raison de la saison et des conditions météo, tous les fronts sont plus ou moins inactifs. Sauf dans les Balkans, et encore, cela ne va pas durer longtemps... En revanche, on s'active fébrilement dans tous les états-majors. Du côté des Alliés, avec les ministres Lloyd George et Thomas, comme chez les Allemands avec Walther Rathenau, tout est mis en œuvre auprès des industriels pour qu'ils puissent encore augmenter leur production de guerre et, en supplément, fournir de nouvelles armes encore plus destructrices aux combattants. L'arme chimique progresse, de nouveaux mélanges, plus dévastateurs encore que les précédents, sont en cours de fabrication... En France, le 1er du mois, et par décret officiel, Joseph Joffre est nommé Commandant en Chef de toutes les armées françaises opérant en Europe, y compris aux Balkans. Il prend alors le grade de généralissime. Quelques jours après, le général Édouard de Castelnau devient son chef d'état-major… Le 1er décembre, les principaux chefs alliés se réunissent à Calais sous la direction d'Herbert Asquith et d'Aristide Briand. La France réclame l'envoi de renforts pour l'armée d'Orient, mais la Grande-Bretagne déclare qu'elle envisage de retirer ses troupes de Salonique. Puis, après d'âpres discussions, elle se ravise et annule ce retrait... |
En Afrique de l’Est, les Allemands rapatrient les canons du Königsberg à Dar-el-Salam |
Des ambulanciers serbes soignent leurs blessés |
L’armée serbe en retraite à travers l’Albanie et le Monténégro |
Le modèle de la Vénus ailée des Rolls Royce, Eleanor Thornton qui périt sur le Persia |
Soldats britanniques aux pieds gelés protégés par des caisses de rations aux Dardanelles |
Le premier avion métallique, Junker J1, lors de son premier vol en décembre |
SQuelque part en France, on n’oublie pas de fêter Noël et son sapin |
Canon français de 320mm sur rail (photo autochrome) |
Remise de décorations dans la cour des Invalides le 9 décembre |
Les divers masques à gaz utilisés sur le front de l’ouest |
Officiers austro-hongrois dans une caserne au Tyrol |
Quelle folie la guerre ! |
Barbentane, le plus beau village de l'Univers |
Tous mes remerciements à toutes celles et ceux qui m’ont aidé dans ces tâches de reconstitution de notre patrimoine barbentanais : prêt de brochures, de photos, des Écho de Barbentane, aide, corrections et autres… Guy |
Tombes françaises à Seddul-Bahr dans les Dardanelles |
Dans un poste de gué en Argonne |
Pour les Dardanelles, c'est plus facile, les Alliés décident d'un commun accord d'évacuer la zone où un grand nombre de soldats Britanniques et Français ont donc péri pour rien. Le général Joffre souligne que la coopération interalliée est nettement insuffisante dans la guerre économique et il réclame une aide majeure. La France, la Grande-Bretagne et l'Italie décident à nouveau d'empêcher le départ des navires chargés de provisions en partance pour la Grèce, car ce pays persiste dans son attitude peu amicale. Il est aussi adopté le principe d’une offensive simultanée avec le maximum de moyens sur tous les grands fronts tant français, qu'italien et russe au printemps, au plus tard à l'été 1916... Cette conférence se poursuit le 3 à Chantilly pour superviser les plans militaires de l'année à venir en France. Malgré les mises en garde du président Raymond Poincaré sur des offensives hasardeuses et très coûteuses(1), Joffre défend le projet d'une nouvelle attaque -qui sera, bien sûr, décisive- sur la Somme à l'été 1916. C'est Ferdinand Foch qui la supervisera et il aura à sa disposition 3 armées pour la réaliser. Toutefois, "la décision" de l'attaque d'infanterie n'interviendra que si l'usure de l'ennemi par l'artillerie est conséquente. Du coup, cette condition tactique entraîne une réorganisation totale de cette spécialité militaire. Trois nouveaux centres de formation pour les officiers artilleurs sont créés (Amiens, Chalons et Toul) et, en un an, la production de canons lourds va passer de 740 à plus de 2 000, celle d'obus de 4 000 à 11 000 par jour... Malgré la réticence de certains élus, la Chambre vote l'incorporation de la classe 1917... Des dépêches signalent que de nombreux transports de troupes des Empires-Centraux sont en route du front oriental vers le front occidental. Plus de douze divisions sont transbordées pour venir renforcer les 2 400 000 combattants allemands au contact des armées françaises, britanniques et belges depuis la mer du Nord jusqu'aux Vosges. Des indices, comme la fermeture des frontières avec la Suisse ainsi que des restrictions de circulation en Belgique, laissent présager de futures offensives dans les Flandres et en Alsace. Une proclamation de l'héritier de Wurtemberg en accrédite la vraisemblance. Le 25, le capital des rentes souscrites à l'emprunt national dépasse les 14 milliards de francs. Le 30, le général Sarrail, commandant en chef de l’armée d’Orient et organisateur du camp retranché de Salonique, fait expulser les consuls des Empires-Centraux à la suite du bombardement de la ville par un aéroplane allemand. Le dernier jour de l'année, le généralissime Joffre envoie un ordre du jour aux armées ainsi libellé "Pendant que nos ennemis parlent de paix, ne pensons qu’à la guerre et à la victoire"...
En Grande-Bretagne, le 9 décembre, dans une déclaration, le gouvernement minimise la défaite des troupes britanniques et indiennes après leur échec à Ctésiphon, en Mésopotamie. Le 11, à 54 ans, le maréchal Douglas Haig devient Commandant en Chef des forces britanniques en France (BEF) à la place de John French(2) tombé en totale disgrâce. Le 22, Herbert Asquith annonce aux Communes le rembarquement, miraculeusement réussi avec seulement 3 blessés, de toutes les troupes britanniques des baies de Suvla et Gapa Tepe, sur la presqu'île de Gallipoli. Elles vont rejoindre l'armée d'Orient. Il demande ensuite aux parlementaires d'autoriser la levée d'un million d'hommes supplémentaire. Après le discours favorable d'un député ouvrier, et le discours contraire du député irlandais John Redmond, il obtient l'autorisation de lever des crédits pour l'incorporation de ce quatrième million de soldats. Un groupe de banquiers britanniques demandent aux Alliés de mobiliser plus intensément les fortunes stockées en numéraires. le 23, Lloyd George déclare "La Grande-Bretagne fabrique des munitions en quantités prodigieuses". Le 30, le cabinet britannique continue à délibérer sur la conscription, la majorité de ses membres est favorable au service militaire obligatoire pour les célibataires. A Lisbonne, le gouvernement britannique expose les avantages que présenterait pour les Alliés la réquisition des 38 navires marchands allemands restés inutilisés dans les eaux portugaises depuis le début de la guerre...
En Italie, le 1er décembre, Le baron Sidney Costantino Sonnino, ministre des Affaires Étrangères, déclare à la Chambre que l'Italie vient d'adhérer à la convention de Londres (pas de paix séparée avec les Empires-Centraux) et qu'elle va se porter au secours de l'armée serbe en retraite...
En Allemagne, le gouvernement décide que ses journaux ne seront plus exportés vers la Suisse et les Pays-Bas. Au Reichstag la situation est très tendue et le chancelier Théobald von Bethmann Hollweg craint d'être fortement attaqué par les socialistes opposés à la guerre. Dans les grandes villes du pays, Berlin, Cologne, etc... de nombreuses manifestations se développent. Elles sont menées par des femmes qui se révoltent contre la cherté de la vie. Elles sont durement réprimées avec de nombreuses protestataires blessées. De leur côté, les catholiques critiquent vivement l'impuissance du chancelier en présence de la crise des vivres. Le 10, au Reichstag, les socialistes évoquent la possibilité d'une révolution. Le chancelier fait alors une description optimiste de la situation militaro-économique des Empires-Centraux pour intimider les puissances de l'Entente et mettre le doute dans l'esprit des pays neutres. Dans une allocution, il dit attendre pour discuter des conditions de la paix, que les adversaires de l'Allemagne fassent des propositions. Les socialistes affirment nettement que le pays ne peut pas rendre l’Alsace et la Lorraine. Le lendemain, les conservateurs réclament l'annexion de toutes les contrées occupées. Le 16, Karl Helfferich, ministre des Finances, prononce un discours très patriotique pour justifier la demande de 12 milliards et demi de crédits. Le 29, lors du vote, la séance est houleuse. 22 députés socialistes quittent la séance pour ne pas voter, mais 20 y demeurent pour voter contre, rompant la discipline du parti. Du coup, Hugo Haase, le président du groupe parlementaire socialiste, démissionne de son poste...
En Autriche-Hongrie, le 3, puis le 11 décembre, à la Chambre hongroise, des parlementaires demandent qu'on arrête l’effusion de sang et que la paix soit rétablie. Le même jour, dans une lettre à son homologue allemand von Falenhayn, le chef d’état-major austro-hongrois von Hötzendorff démontre qu’une offensive commune dans le sud du Tyrol abattrait l’Italie. Les Allemands refusent d'y participer. Le 13, c'est avec la Bulgarie que les relations s'enveniment car ces deux pays se disputent la possession de Monastir en Serbie. Suite au torpillage du streamer Ancona le 6 novembre par le U-38 qui battait pavillon austro-hongrois et où une vingtaine d'étasuniens ont péri, les relations diplomatiques avec les USA deviennent très tendues...
En Grèce, constatant la retraite des troupes serbes, la presse gouvernementale publie une note disant que la Grèce refuse que des combats entre les Alliés et les Empires-Centraux puissent être livrés sur son territoire. Le 3, les conseils des ministres se succèdent à Athènes, la neutralité du pays est à chaque fois réaffirmée. Du coup, des mesures de rétorsion reprennent de la vigueur chez les Alliés qui décident d'ouvrir à Athènes des conversations plus pressantes. Le 6, le gouvernement grec envoie à Salonique son colonel d'état-major, Konstantinos Pallis, pour discuter avec le général Sarrail des mesures de détail à adopter en vue de garantir sa neutralité. Le lendemain, le gouverneur grec de Salonique affirme aux Alliés que l’armée d'Orient n'a pas à redouter d'actes hostiles de la part des troupes grecques. Le 11, l'ambassadeur allemand à Athènes fait de pressantes démarches auprès du gouvernement pour que les troupes turques entrent en Grèce pour combattre le corps expéditionnaire, puisque ce dernier refuse d'accorder le libre accès de son pays aux troupes bulgares. Le président du Conseil, Stephanos Skouloudis, persiste à déclarer aux Alliés que les Bulgares et les Turcs n'ont pas l'intention de violer la frontière et qu'ils vont porter leurs efforts en Albanie contre les Serbes et les Italiens. Le 22, les élections grecques ont été un succès pour Elefthérios Venizélos, l'ex-premier Ministre pro-allié déchu, qui avait recommandé l'abstention. Un tiers seulement des électeurs ont voté, mais il n'est pas rappelé au gouvernement pour autant. Dans une déclaration, le roi de Grèce affirme à nouveau qu'il garde une neutralité bienveillante pour les Alliés et qu'il veut "éviter le Charybde allemand autant que le Scylla anglais". Comme la Bulgarie se fait de plus en plus pressante sur sa frontière nord, la Grèce demande aux Empires-Centraux de faire pression sur cette dernière pour lui en interdire l'accès. La réponse est très évasive. Le 24, suite à son échec aux élections, le président du Conseil, Stephanos Skouloudis, annonce qu'il remet sa démission au roi. Le nouveau président du Conseil, Dimítrios Goúnaris, prend une ordonnance interdisant l'exportation des denrées alimentaires à destination de Salonique, ce qui va gêner autant les Alliés que la population civile du lieu. Le 27, le général de Castelnau est reçu à Athènes par le roi pendant que le gouvernement démobilise partiellement la partie de son armée qui montre des dispositions hostiles aux Bulgares...
Au Monténégro, le 21 décembre, pour garantir son peuple d'une guerre sur son royaume, le roi Nicolas 1er envoie une offre de paix séparée à François-Joseph l'empereur d'Autriche...
En Roumanie, le gouvernement signe avec les Empires-Centraux un traité pour la livraison en quantité de céréales. Le 28, le gouvernement réquisitionne toute une série de navires dans ses ports de la mer Noire....
Aux États-Unis, suite à de nouveaux attentats pro-germains, le gouvernement réclame le rappel de l'attaché militaire allemand, Boy-Ed, ainsi que celui de son attaché naval, von Papen, car leur culpabilité est démontrée. Il demande, en plus, le départ de l'ambassadeur d'Allemangne, le comte Bernstorff, dont la duplicité est évidente. Le 9, dans le message qu'il adresse au Congrès, le président Wilson flétrit les crimes des pro-germains et annonce le dépôt de lois destinées à les réprimer. Le 11, le secrétaire d'État atteste au Congrès qu'économiquement le pays n'a jamais été aussi prospère. Le 12, l'Allemagne rappelle de Washington son attaché militaire et son attaché naval. Le 14, les relations se tendent avec l'Autriche-Hongrie suite au torpillage de l'Ancona en Méditerranée, une rupture semble possible. Le 19, la réponse que cette dernière adresse au pays est jugée non satisfaisante et les consuls austro-hongrois se préparent à partir. Le 25, à la bourse de New-York, le cours du mark atteint son niveau le plus bas depuis l'ouverture des hostilités...
Au Vatican, le pape Benoît XV, dans un consistoire secret où il désigne de nouveaux cardinaux, prononce une allocution sur la guerre. Pour lui, la paix ne peut résulter que de concessions mutuelles de la part des belligérants...
En Espagne, le 10 Álvaro de Figueroa y Torres, comte de Romanones, est chargé de constituer un cabinet de nuance libérale, à tendance pro-Alliés. Il réussit à le former en quelques heures. Toutefois, son gouvernement va se heurter jusqu'en 1917 aux conservateurs espagnols très pro-Allemands Le 27, le marquis de Muni, un pro-allié, est nommé ambassadeur d'Espagne à Paris, en remplacement du marquis de Valtierraqui qui ne l'est guère....
En Égypte, Le sultan annonce qu'il lèvera, s'il le faut, 500 000 hommes pour résister aux attaques turques...
En Suisse, le 23 décembre le Conseil fédéral suisse déclare qu'il ne peut prendre, au moins pour le moment, l'initiative d'une intervention en faveur de la paix...
En Chine, dans les provinces du sud, une révolution éclate le 29 décembre contre Yuan-Chi-Kaï qui vient de se proclamer empereur...
Sur le front en France, durant tout le mois, aucune attaque d'envergure ne peut être menée, tant les conditions météo sont exécrables. Alors, les belligérants essayent de s'atteindre par des échanges d'artillerie. La canonnade ne s'arrête jamais, sauf lorsque la pluie ou la neige empêche les culasses de bien fonctionner ou les munitions d'arriver. Ce n'est pas pour autant que les tranchées de premières lignes s'endorment. Elles s'animent militairement la nuit par la pose ou le renouvellement des barbelés et par la circulation des si dangereuses patrouilles d'information. Dans la journée, on renforce les bas-côtés, quand cela est possible on pose des caillebotis pour éviter d'avoir les pieds dans l'eau. Mais c'est aussi la chasse aux rats, ils pullulent, se nourrissant de tout ce qui traîne et rien ne manque : de la nourriture des hommes à la chair humaine. En ces mois de frimas, où se laver dehors est presque impossible, les poux rendent les hommes à demi-fous. Parfois, des attaques sont déclenchées par l'un des belligérants pour quelques mètres de terrain, comme en Champagne ou en Artois. Perdue un jour, la tranchée est le plus souvent reprise le lendemain ou quelques jours après. Le plus terrible, ce sont les mines, malgré les écoutes permanentes, elles explosent le plus souvent de façon imprévisible. De manière naturelle en cette saison, tous les cours d'eau se gonflent et parfois débordent. A Givet, la Meuse emporte un pont du génie, la Sambre envahit les rues de Namur, le front de l'Yser entre Dixmude et Newport devient un immense et infranchissable marais... Les Allemands poursuivent le bombardement des villes en arrière du front. Les grandes villes comme Arras, Reims et Nancy, reçoivent régulièrement leur ration d'obus de toutes sortes, le plus souvent explosif. Quand les Alliés arrivent à repérer un de ces gros canons, l'aviation est sollicitée pour faire taire la pièce. Cela arrive parfois…
Dans la guerre aérienne, là aussi c'est le calme relatif. Les terrains deviennent impraticables et empêchent les avions de décoller, encore plus d'atterrir. On en profite pour installer les dernières améliorations techniques sur les aéroplanes déjà en service... Le 7, les Britanniques font voler le plus grand avion de l'époque, le Handley Page de type O. Ce bombardier, à la capacité d'emport de 900 kilos, mesure 30 mètres d'envergure. Même si les premiers exemplaires sont sous-motorisés, l'avion connaîtra un beau développement avec plus de 600 exemplaires construits... Le 12, les Allemands font voler le premier avion entièrement métallique. Ce Junker J1, est une déception. Trop lourd, aux techniques de soudure pas encore maîtrisées, il s'abîmera à l'atterrissage. Il ne sera jamais développé pendant le conflit... |
La bataille de Serbie entre novembre et décembre 1915 |
Mitrailleuse lourde britannique Vickers en Artois |
Derniers adieux à un soldat austro-hongrois dans les Dolomites |
L’Écho de Barbentane de janvier 1916 |
(1) A cette conférence, Raymond Poincaré répète que 600 000 hommes ont été mis hors de combat depuis le début de la guerre et que l'opinion publique gronde. (2) John French retourne en Grande-Bretagne où il est appelé 1er vicomte French d'Ypres et du Haut Lac du Comté de Roscommon. Le 1er janvier 1916, il est nommé Commandant en Chef des Forces de l'Intérieur et il supervise la répression du soulèvement en Irlande. En mai 1918, il est nommé Lord lieutenant d'Irlande et Gouverneur Général de l'Irlande. En 1919, il est l'objet d'une tentative ratée d'assassinat par l'Irish Republican Army naissante. Il conserve son poste jusqu'à sa retraite en 1921. Il décède dans son lit le 22 mai 1925. (3) Le contre-torpilleur Yar Hissar a été construit en France et mis en service dans les derniers jours de 1907. (4) Depuis cette date, le Persia, surtout sa cargaison, a fait fantasmer des milliers de chasseurs de trésors. Ce n'est qu'en 2001 que l'épave est repérée et en 2003 que des rubis sont repêchés. (5) La Britannique Eleanor Velasco Thornton voyage officiellement pour la firme Rolls Royce. Surtout elle accompagne son amant qui va prendre un poste en Inde, John Walter Edward Douglas-Scott-Montagu 2ème Baron Montagu de Beaulieu, dont elle a eu une fille qu’elle a laissée dans un orphelinat, juste après sa naissance. Lui aura plus de chance, il fait partie des rescapés. (6) Ruses comme celle du soldat William Scurry qui a conçu un fusil automatique qui fonctionne avec l'accumulation d'eau dans une casserole attachée à la détente. (7) Les "auxiliaires" sont d'anciens soldats, un temps réformés, mais de nouveau jugés aptes au service actif, versés dans des emplois adaptés selon leur niveau de handicap. |
L’aller et le retour des troupes britanniques en Mésopotamie |
Le Persia, coulé par le U-38 le 30 décembre, dans le port d’Aden avant la guerre |
Le paquebot La Loire débarque du matériel à Salonique |
Expédition d’avions en pièces détachées pour Salonique |
Par décalage pour son édition, c’est l’Écho de février 1916 qui relate les événements de décembre et début janviee 1916... |
Goûter d’orphelins à Saint-Jean-Cap-Ferrat dans les Alpes-Maritimes |
Soldats US en patrouille dans Haïti occupée |