BARBENTANE en novembre 1914 |
Par décalage pour son édition c’est l’Écho de janvier 1915 qui relate les évènements de novembre 1914... |
Quelle folie la guerre ! |
Barbentane, le plus beau village de l'Univers |
La situation de la guerre en novembre 1914… Petit retour en arrière, le 27 octobre 1914 à Neuve-Chapelle au Sud d'Ypres (Flandres belges) les Allemands font pleuvoir une pluie d'obus de 105mm sur les lignes françaises. Les soldats ne font pas attention aux vapeurs que dégagent les explosions, c'est pourtant le début de la guerre des gaz. Toutefois, mal utilisé et peu prégnant, ce gaz de type lacrymogène ne permet pas aux Allemands de percer, à la grande déception de son état-major. Il faudra attendre le mois d'avril 1915 pour que l'Allemagne, avec d'autres moyens techniques et d'autres gaz plus dangereux, se lance de nouveau dans la guerre chimique. On en reparlera... La guerre de mouvement qui durait depuis août en Europe occidentale est maintenant terminée. Le front est fermé par des lignes de tranchées continues de la Suisse à la Mer du Nord... Pour l'instant, on souffle un peu, on se réarme, on s'organise militairement du mieux que l'on peut. Les armées alliées ne se posent pas la question du confort, les soldats sont livrés à eux-mêmes, il faut qu'ils se débrouillent pour leurs besoins personnels et même pour le ravitaillement indispensable tant en nourriture qu'en munitions, c'est encore le domaine de la débrouillardise... Côté allemand c'est, au contraire, très organisé. Dès le début on fortifie les casemates, on bétonne les appuis de mitrailleuses, on organise la logistique d'une façon très rationnelle. Au fil du temps on amènera même l'électricité dans les tranchées et, sur le front vosgien aux conditions climatiques extrêmes, les cabanes françaises font vraiment pâles figures face aux fortins chauffés ennemis... Ce n'est pas pour autant que le front est figé, loin s'en faut. A cette impossibilité de combattre debout, on va construire des "sapes" pour essayer de détruire les tranchées adverses par en-dessous. Les soldats des deux camps vont se muer en taupes pour creuser, puis déposer des explosifs en masse pour essayer de faire sauter la ligne de défense opposée. Ces actions sapent, c'est vraiment le cas de le dire, le moral des soldats de premières ligne. A la peur des obus qui peuvent à tout moment leur tomber sur la tête, puis celle des coups de mains par des assauts violents à la grenade et à la baïonnette -car il est impossible de se servir d'un fusil dans les boyaux- s'ajoute la peur quotidienne de sauter en l'air... Grosso modo, mais c'est très aléatoire selon les époques et les évènements, le soldat du front passe 6 à 8 jours dans les tranchées avant de retourner à l'arrière pour une durée équivalente. La vie en première ligne n'est pas de tout repos. Les combattants qui sont en permanence sur le qui-vive pour éviter d'être surpris, doivent travailler le jour dans la tranchée pour la fortifier, à préparer les sapes ou à écouter avec des stéthoscopes pour vérifier que l'on n'est pas "sapé". La nuit, ce sont les patrouilles, la pose de barbelés, les assauts sur les tranchées adverses, le tout sous les obus d'artillerie et les fusées éclairantes. Le pire ce sont les nuits de relève. L'artillerie, toujours au courant malgré les efforts faits pour cacher ces gros mouvements de troupes, pilonne sans arrêt, faisant toujours des dégâts. Roland Dorgelès, dans son livre Les Croix de Bois, en fait le tragique témoignage... A l'arrière, il n'y a pas vraiment de repos pour les soldats, on creuse les tranchées de 2ème, 3ème, 4ème lignes, parfois plus encore. On se change quand on peut et on lutte souvent vainement contre les parasites qui se régalent de tous ces êtres fatigués et affaiblis. On se forme parfois, mais c'est rare et on écrit toujours. Cette nouvelle guerre statique favorise les temps de pause et depuis l'alphabétisation de masse, les soldats peuvent enfin correspondre régulièrement avec leurs familles. Certes, tous ne sont pas assidus à ces échanges épistolaires, mais tous se doivent de donner de leurs nouvelles. La poste militaire est gratuite pour les soldats, mais la censure veille farouchement, pour ne pas dire idiotement comme toujours, ce qui fait écrire à un officier "Je vous parlerais bien de beaucoup de choses il y a tant à raconter, mais je ne peux pas, c'est interdit. Alors, je vais vous parler du temps qu'il fait...". Jamais aucun conflit n'a été à ce point décrit de l'intérieur, directement par les acteurs qui le subissaient au quotidien. Dans chaque section, des volontaires aidaient les moins lettrés, ceux qui avaient des difficultés pour s'exprimer à l'écrit. Il nous reste des millions de lettres de cette guerre, presque toutes les familles de France doivent en avoir encore dans leur grenier. Par contre, à ma connaissance, seul l'Echo de Barbentane a réussi le tour de force de collecter mensuellement ces échanges, non pas pour donner des nouvelles aux familles, mais à l'ensemble du village, aux amis, aux voisins, de façon ouverte et collective. Ce qui fait de ce modeste bulletin paroissial une rareté...
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Dans cet Écho un hommage particulier est rendu à la Belgique… C’était un pays neutre, donc a priori inattaquable, mais les Allemands considérant que c’était le point faible pour attaquer la France voulaient traverser ce pays sans combattre… La nation belge en a jugé autrement, elle a préféré résister à ceux qu'elle considérait comme des envahisseurs… Elle va le payer très cher, les crimes de guerre allemands envers ses ressortissants se conteront par centaines, les destructions gratuites et sauvages tout autant... Ci-contre, le roi Albert Ier qui, comme l'écrit l'Écho, sacrifia son pays pour la défense du droit... |
L’Echo de Barbentane de janvier 1915 |
Tous mes remerciements à toutes celles et ceux qui m’ont aidé dans ces tâches de reconstitution de notre patrimoine barbentanais : prêt de brochures, de photos, des Echo de Barbentane, aide, corrections et autres... |
Jusqu'à maintenant le temps était relativement clément, à partir du milieu novembre l'hiver va s'installer. Il pleut presque 1 jour sur 2, les premières neiges se mettent à tomber et le thermomètre passe en-dessous de 0°, c'est la sale guerre qui commence... Le 1er novembre, dans les eaux chiliennes, une escadre anglaise composée des croiseurs Good Hope, Monmouth et Glasgow, rencontre par forte mer une escadre allemande avec les croiseurs Scharnhorst, Gneisenau, Leipzig et Dresden. L'amiral von Spee prend un net avantage tactique dès le début du combat. Le Good Hope et le Monmouth sont coulés mais le Glasgow réussit à s'échapper. Cette bataille, dite du Coronel, a un retentissement mondial, car c'est la première défaite subie par la Royal Navy depuis 1781, ce qui met en fureur le Premier Lord de l'Amirauté, un dénommé Winston Churchill. Le 2 novembre, les Allemands continuent d'attaquer sur le front des Flandres et dans l'Argonne, en vain. Dans les Vosges c'est l'inverse, mais c'est sans réels résultats. Les armées alliées ont fait 8 000 prisonniers en une semaine dans les Flandres. La rupture est consommée entre les Alliés et la Turquie, celle-ci se rangeant définitivement du côté de la Triple-Alliance et les ambassadeurs français, anglais et russes quittent le pays. Sur le front oriental, les Russes s'enfoncent toujours plus en Pologne et en Prusse-Orientale en faisant de nombreux prisonniers. Le 3 novembre, le Kaiser Guillaume II se fait décerner la croix de Fer par les autres souverains allemands ; on ne précise pas sur quel champ de bataille il l'a gagnée. La Bulgarie se proclame une nouvelle fois neutre. L'amirauté anglaise annonce que la Mer du Nord est maintenant interdite aux navires marchands car complètement minée. Le 4 novembre le croiseur anglais Minerva bombarde Akaba le premier fort turc à la frontière égyptienne. Le 5 novembre dans leur progression vers l'Allemagne, les Russes obligent le quartier général de Von Hindenburg à se replier. A Yarmouth, sur la côte orientale anglaise, une flotte allemande composée de 4 cuirassés et de 4 contre-torpilleurs bombarde les plages en coulant le sous-marin D5 et 2 chalutiers. Les forces navales franco-anglaises canonnent l'entrée du détroit des Dardanelles en Turquie. Les troupes russes de la Transcaucasie franchissent la frontière de l'Arménie ottomane. Le 6 novembre, la France et l'Angleterre déclarent la guerre à la Turquie. Des croiseurs anglais bombardent Jaffa en Syrie et leur gouvernement proclame l'annexion de Chypre occupée depuis 1878. Le Royaume-Uni déclare qu'il respectera les lieux-saints de l'Islam. L'Espagne affiche sa neutralité. Le 7 novembre de furieuses mêlées à la baïonnette se déroulent dans les tranchées des Flandres et celles de l'Argonne. Les Russes pénètrent en Galicie dans l'Empire austro-hongrois en faisant des milliers de prisonniers et, en Arménie, ils marchent vers Van et Erzeroum. Le 8 novembre la flotte russe qui opère dans la mer Noire bombarde Songouldak en Turquie et détruit plusieurs transports ottomans. En Chine, l'armée japonaise s'est emparée de l'arsenal allemand de Tsing-Tao, après six semaines d'investissement. L'état-major suisse dément le bruit selon lequel l'Allemagne aurait demandé le libre passage de ses troupes à travers sa province du Jura au Sud de Montbéliard. Le 9 novembre, à Soissons, l'armée française reprend le plateau de Vrégny à l'Est de la ville. Dans l'Arménie turque les Russes atteignent les sources de l'Euphrate et poursuivent vers Erzeroum, lieu où se déroulera une grande partie de la tragédie arménienne de 1915. Des fusiliers-marins anglais débarquent à Fao, au débouché de Chatt-el-Arab, dans le golfe Persique, tandis que des contre-torpilleurs canonnaient la côte. A cause du blocus maritime, les vivres font de plus en plus défaut en Allemagne comme en Autriche. A Berlin, il est interdit de donner, dans les restaurants, du pain à discrétion aux consommateurs ; en Autriche, le chômage est tel que le gouvernement redoute de sérieux troubles. L'Italie fait savoir à la Turquie qu'elle ne permettrait pas qu'il fût touché au canal Suez. Au large des îles Cocos dans l'Océan Indien le croiseur australien Sydney détruit presque complètement le navire corsaire allemand Emden, c'est la première victoire de la marine australienne. Le 15 novembre, c'est la victoire des armées française, britannique et belge autour d’Ypres et de Dixmude. Les premières neiges tombent sur le massif vosgien. Le 18 novembre dans la mer Noire les croiseurs russes Almaz et Merkouria remportent la bataille navale du cap Sarytch contre les croiseurs allemands Goeben et Breslau battant pavillon turc, mais aux équipages allemands. Le 22 novembre en Mésopotamie, les Britanniques prennent Bassora afin d’assurer la protection du Golfe Persique et surtout leur ravitaillement en pétrole persan... L'Écho de janvier 1915 relate qu'au mois de décembre 1914, 34 quêteuses se dévouent pour récolter des fonds pour l'héroïque et malheureuse Belgique. Le tirage de l'Echo est maintenant de 750 exemplaires mensuel... La liste des morts aux combats s'allonge avec 5 nouveaux décès notés dans cet Écho : le sergent Jean-Marie Laussel 24 ans (tué le 29/08/14), Gaston Lafont 21 ans (tué le 17/09/14) et le sergent Joseph Rancelant 22 ans (tué le 03/10/14), Joseph Bertaud 32 ans (tué le 04/11/14) et le capitaine Gabriel Barthélemy 45 ans (tué le 18/11/14). Il faut rajouter à cette liste, Jules (dit Louis) Ollier 23 ans (tué le 11/11/14), Albert Portal 38 ans (tué le 12/11/14), Henri Marteau 38 ans (tué le 14/11/14) et Fuscien Ginoux 30 ans (tué le 16/11/14). Ce qui, avec 6 morts, fait de novembre 1914 le deuxième mois le plus meurtrier de la guerre, juste derrière août 1914 avec ses 8 morts... 3 nouveaux blessés sont recensés : Jean-Marie Ollier, Henri Marchand et François Lunain. L'Echo pense que Henri, le frère de Jean-Marie Laussel, porté disparu, est prisonnier en Allemagne. Hélas, fausse nouvelle, celui-ci est mort au combat avant son frère le 20 août 14... Malgré ses 63 ans, Le maire Pierre Terray (veuf d'Andlau), est lui aussi réquisitionné. Pendant toute la guerre il sera remplacé dans ses fonctions par Joseph Ardigier (époux Bruyère), 1er adjoint. A noter qu'il n'y avait qu'une seule liste aux élections municipales du 5 mai 1912 et que, comme le dit l'Écho de juin de cette même année : "Toute la liste [21 élus] suivante catholique et royaliste, de M. le Comte Terray, fut élue sans concurrents, à l'unanimité des suffrages exprimés". Au moins les choses étaient claires et les comptes parfaits... Mme Pigeon, l'épouse du docteur, décède ainsi que François Granier, homme d'importance au village. Ce dernier était le président de la Société de Secours Mutuels Saint-Joseph qui était une mutuelle d'entraide barbentanaise très appréciée et surtout indispensable... L'Ouvroir Barbentanais est une véritable usine avec une production impressionnante... Dans cet Écho les nouvelles de la guerre datent de novembre 1914 et elles sont vraiment guerrières. Les rétablissements défensifs sont présentés comme d'immenses victoires au prix de milliers de morts, mais çà, ce n'est pas écrit. Même mieux, pour nos stratèges militaires, les armées allemandes sont "mal encadrées et mal instruites. L'arrêt des armées allemandes est donc, fatalement, condamné à se changer en retraite". Hélas, ce n'est pas vraiment demain la veille que cela arrivera. Sur le front oriental, les troupes russes progressent à travers la Prusse et sur mer des victoires anglaises sont notées... Le relevé de la classe 1915 comporte 20 noms et l’adresse de son quartier est signalé pour chacun... Le courrier militaire est d'importance avec 5 pages et pourtant les nouvelles relatées sont très brèves. On y parle de pluies de balles et d'obus. Jean-Marie Rey relate sobrement la mort de Camille Sérignan. Etienne Achard sur son lit d'hôpital écrit que les blessés allemands sont bien traités. Martial Granier* rapporte que ses "nègres" sont sans pitié pour leurs prisonniers. Le dimanche 15 novembre Julien Audibert entend les Allemands qui chantent des psaumes et des litanies. Louis Ayme, dans sa "Villa du courant d'air", pleure les morts et les blessés. Le mauvais temps arrive avec le froid et la boue. Finis les mouvements militaires, la guerre des tranchées s'installe pour 4 longues et interminables années... Guy * Pour info, Martial Granier est l'officier que l'on voit sur la page de garde Du Haut de la Tour n°90 d'octobre 2014 (scan de l'Echo de Barbentane de novembre 1916 de la collection Josette et Jean Constant). |